jeudi 20 août 2015

Mustang




Mustang est le nom de ces chevaux que nul ne peut maîtriser. Je trouve d'ailleurs révélateur a posteriori que le titre du film soit au singulier, et non au pluriel, comme on aurait pu le supposer au départ. Mustang est le portrait de cette fougue propre aux êtres indomptables.

Véritable sensation de la quinzaine des réalisateurs 2015, Mustang est avant tout un film de filles : cinq héroïnes se partagent l'affiche. Lale et ses quatre soeurs sont turques, belles et indépendantes. Le dernier jour de l'année scolaire, elles s'amusent avec des garçons sur le chemin du retour. Mais ce petit jeu va alors prendre des proportions inattendues: outrés par un comportement qu'ils jugent indécent, les membres de la famille vont prendre des sanctions à l'égard de ces cinq rebelles. La maison se transforme peu à peu en prison pour jeunes filles à marier. 

Mustang pose  en premier lieu la question de la femme et de la fille en Turquie. Sans trop rentrer dans les détails, il faut quand même souligner qu'il s'agit d'un pays historiquement progressiste en matière de droits des femmes : dès les années 30 elles obtiennent le droit de vote, l'IVG y est autorisée jusqu'à la dixième semaine de grossesse. Mais depuis l'arrivée au pouvoir du parti de Recep Tayyip Erdoğan, on constate un retour en force du patriarcat lié à des mesures gouvernementales. La réalisatrice souligne à ce titre le retour des écoles religieuses pour mieux "encadrer" la société et mettre fin à une trop grande liberté intellectuelle de la population. Finalement la femme est tiraillée entre deux extrêmes : sur le papier elle a des droits, est libre et émancipée, mais au sein même de la société elle reste soumise au masculin. C'est d'autant plus intéressant que la Turquie est finalement un pays dont on parle assez peu et qui est plus ou moins absent du paysage cinématographique. On se souvient de l'excellent Wajda dans le même genre, qui posait la question de la féminité en Arabie Saoudite, ou encore de Hors-Jeu de Jafar Panahi sur l'écrasement de la jeune fille en Iran. D'ailleurs cet état de fait est l'un des premiers arguments présentés par les pays d'Europe de l'ouest pour s'opposer à l'entrée du pays dans l'UE, quoi que le gouvernement voudrait nous faire croire qu'il n'en est rien. Dans une inteview pour Les Inrocks, Deniz Gamze Ergüven déclarait d'ailleurs "Je voulais raconter ce que cela représente d’être une femme aujourd’hui en Turquie, dit la réalisatrice. Le pays a toujours été partagé entre deux courants, l’un progressiste, l’autre rétrograde, mais depuis quelques années le second s’impose. Chaque semaine, des types de l’AKP font des déclarations odieuses sur les femmes, qui contribuent à polluer les esprits. Ils nous obligent à nous cacher, à nous taire, à avoir honte." On peut donc parler à propos de Mustang d'une certaine urgence de cinéma; une envie de dire au monde quelque chose. Très vite, le film va se concentrer sur la maison et sa transformation progressive. Les filles ne verront bientôt plus le monde du dehors autrement qu'à travers les barreaux de leur prison. Il y a l'idée que l'enfermement de ces jeunes filles a quelque chose de contre-nature (au sens d'aller à l'encontre de l'ordre normal des choses) comme le montre leurs tentatives parfois désespérées de s'échapper. Pourtant, il n'y a parmi elles qu'un seul véritable Mustang : Lale, la petite dernière qui luttera jusqu'au bout pour sa liberté.



Il y a chez Deniz Gamze Ergüven un sens du cadre qui frise la perfection : jamais un centimètre à côté, la caméra est toujours à sa place. Beaucoup de plans serrés nous font entrer dans l'intimité de cette bande de filles au caractère bien trempé, qui ressemble à bien des égards à celle que Sofia Coppola avait mis en scène dans The Virgin Suicides. Misant sur la légèreté, Mustang n'est pas à proprement parler un drame puisqu'on y trouve à plusieurs reprises des scènes de comédie, comme ce moment assez croustillant où les filles se rendent à un match de football. Il faut aussi parler de cette luminosité toute particulière qui éclaire le film, dans des tons doux-amer. Deniz Gamze Ergüven magnifie la femme, même lorsqu'elle se soumet. Et il y a surtout Günes Nezihe Sensoy qui interprète la jeune Lale et qui porte véritablement le film, du haut de ses 1 mètre 50. Rebelle, insaisissable, fougueuse mais surtout indomptable.

Là où le bât blesse un peu, c'est qu'emportée par ses désirs et ses espoirs, la réalisatrice finit par perdre de vue le point de vue réaliste auquel elle s'était si bien tenue au début du film. Le dernier quart d'heure est rocambolesque, on se croirait presque dans un film d'aventures où le héros s'en sort toujours. Il aurait peut-être mieux fallu terminer sur une note d'espoir plus mitigée, plutôt que sur cet élan d'héroïsme un peu bancal auquel on ne croit sans grande conviction.

Mais on ne saurait trop s'acharner sur Mustang tant on a envie d'y croire. Une nouvelle preuve que le cinéma n'est pas qu'une affaire d'hommes et j'espère que l'on reverra le nom Deniz Gamze Ergüven à l'avenir !




lundi 17 août 2015

Respirez c'est déjà trop tard

J'ai presque envie de dire qu'il ne faut rien lire, ni voir sur le film avant de l'avoir vu.



Je ne sais pas si on est tout de suite autorisé à dire qu'un film est un chef-d'oeuvre. Il faut souvent laisser le temps nous dire si la postérité l'accepte dans son panthéon avant de s'enflammer pour une brindille. Je m'enflamme rarement ces temps-ci dans les salles obscures. Je suis souvent déçue quand on promet beaucoup de choses sur le papier et que finalement je vois un scénario vu et revu, et des images sur faites. Alors forcément à la moindre étincelle, c'est souvent l'explosion de joie. Le temps a travaillé depuis un mois pour savoir ce que je retenais du dernier film d'Alexander Kott. 

Il faut commencer par remarque qu'il y a peu de films de l'est qui nous parviennent. Je me rappelle du très bon Léviathan qui avait fait un carton au festival de Cannes de l'an passé. Avant, c'est un peu le néant. Bien sûr il faut citer Tarkovski, les cinéastes soviétiques ou même encore les polonais comme Kieslowski qui ont une sensibilité si particulière; j'ai presque envie de dire une sensibilité slave. Les films de l'est nous apprennent bien souvent à écouter; à écouter et à respirer. Souvent construit sur des systèmes de pensée différent de nos schémas occidentaux, j'ai toujours l'impression que le cinéma slave nous propose d'être un autre cerveau pendant quelques heures, histoire de s'oublier un peu pour se "mettre à la place". Je ne sais pas si on peut véritablement penser comme un autre. Il est certain qu'il y aura toujours une barrière culturelle entre nous et cet autre système (quoique l'occidentalisation effrayante de la société tend à effacer cette frontière). Mais tout de même, c'est un peu comme voyager dans un autre cerveau le temps d'un film.



Je n'ai jamais autant pu apprécier le temps qu'en regardant Le Souffle. D'ailleurs Le Souffle porte bien son nom, il y a des traces de l'animus des latins dans ce film d'1h30, romance sans parole au beau milieu du paysage kazakhe. Certes, les personnages de Kott ne parlent pas, mais ils en disent déjà beaucoup par leur regard, et par leurs silences. Filmé au plus près, le visage anxieux de la belle Elena Ann est particulièrement révélateur de l'incertitude de ce monde en train de disparaître. J'ai tendance, comme tout le monde, à associer l'âme russe à ce tableau de Malévitch où l'on voit la cavalerie rouge se détacher au loin. Ce qui m'a toujours frappée dans ce tableau c'est la taille des chevaux par rapport à l'horizon. De tous petits chevaux minuscules littéralement écrasés entre la terre et le ciel. Le Souffle a quelque chose de Malévitch dans la façon dont il remet l'homme à sa place : quatre vies humaines dans cette immensité désertique. Mais la nature est loin d'être hostile, bien au contraire; le mal vient de la ville et de l'homme civilisé qui apportent avec eux le chaos et la destruction.

Il y aurait beaucoup à dire de ces quatre personnages mis en scène par Kott : le père de famille rustre, la jeune ingénue, le garçon de la campagne et l'étranger. Et encore que non, ce découpage me paraît beaucoup trop occidental. Ces quatre anti-héros nous apparaissent comme des ombres vacillantes et incertaines. Je me suis d'ailleurs longtemps demandé si ce jeune homme qui marche sur les mains existe ailleurs que dans l'imaginaire de la jeune fille. Je me le demande encore, quoique ça n'ait pas beaucoup d'importance. Le cœur du film est dans les clefs disséminées par le réalisateur pour nous conduire à la catastrophe finale. Des événements imprévus, la nature qui meurt à petit feu et l'innocence de la jeunesse qui suit son cours. Après avoir respiré à pleins poumons pendant 1h20, voilà que sans nous y attendre nous nous retrouvons le souffle court, une étrange boule au creux de la gorge. Car ce drame qui se joue sous nos yeux est beaucoup plus complexe que ce qui apparaissait au départ. Beaucoup plus ignoble aussi. Et beaucoup trop vrai.


L'histoire nous dira si le film de Kott est un chef-d'oeuvre. Je le place pour ma part en bonne position dans mon panthéon personnel, aux côtés des plus grands, en remerciement de cette extraordinaire expérience de cinéma. 





dimanche 5 juillet 2015

Smile of Sunday #1




Faute de pondre un chouette article sur Vice-Versa, je mets Riley à l'honneur en ce dimanche puisqu'elle est mon premier sourire du dimanche (rendez-vous qui je l'espère sera reconduit tous les dimanches). C'est un peu difficile de trouver une forme pour la chronique du dernier pixar puisque je voudrais qu'elle soit aussi exaltante que le film, et c'est pas gagné. Mais je ne désespère pas... 

jeudi 25 juin 2015

La tête haute - Emmanuelle Bercot

Quand les bons sentiments sont de mise




(le dernier paragraphe de cet article dévoile quelques éléments de l'intrigue)

Emmanuelle Bercot, c'est la tendance du moment. Belle, indépendante, femme, actrice, réalisatrice, réalisactrice du cinéma d'aujourd'hui comme probablement du cinéma de demain; sa présence en ouverture du festival de Cannes ne fait que confirmer une certaine notoriété et reconnaissance dans ce milieu éminemment masculin. Madame Emmanuelle Bercot. Pourtant Emmanuelle Bercot ce n'est pas un cinéma strictement féminin. Elle a su comme sa comparse Maïwenn porter un regard sur le monde. Un regard différent parce qu'elles n'oublient pas qu'elles sont femmes qui ne déclare pas la guerre au monde masculin, qui s'y confronte, qui cherche à s'imposer délicatement, avec subtilité. C'est peut-être ça être féministe en 2015. 

Emmanuelle Bercot a donc plus que jamais la tête haute et le regard fier. Mise à l'honneur à deux reprises à Cannes lors de la cérémonie d'ouverture puis sacrée lors de la clôture, elle est indéniablement devenue une des Françaises du moment. La Tête haute avait d'ailleurs tout pour être un succès (c'est-à-dire sortir du catimini des films art & essai français traditionnel) : beau casting, scénario intriguant, belle réalisation, publicité de Cannes etc. Ce que j'aime chez Emmanuelle Bercot c'est quelle est une artiste. Le film est bourré de panoramiques très audacieux que j'ai rarement vu au cinéma et que je trouve aussi vertigineux que magnifiques. Et puis il y a la musique. A contre-courant, discrète, étrange, puissante, elle ne tombe pas dans le cliché de la musique de banlieue pour parler des jeunes des banlieues. J'ai presque envie de dire qu'elle donne une universalité à ce film, et à ces personnages; comme une manière de dire que la déroute de Malony c'est un peu la déroute de nous tous, citoyens du 21e siècle perdus entre les billets de banque, la violence, la mort. Parce que La Tête haute, c'est avant l'histoire d'une jeunesse : celle de Malony qui fait les 400 coups parce qu'on ne lui a pas appris comment vivre. Mal aimé par une mère encore adolescente, pas tout à fait mère, Malony cherche ce que c'est que la vie; ce que c'est que l'amour aussi, sans être bien sûr de pouvoir accepter d'être aimé. S'il y a une actrice qui tire bien son épingle du jeu c'est sans doute Sara Forestier, sublime, perdue, touchante, excessive. Mais La Tête haute c'est surtout Catherine Deneuve si autoritaire derrière son bureau de juge. Une cinéaste femme pour un cinéma de femme. Non pas un cinéma féministe, mais un film qui magnifie le sexe féminin, sa virilité comme sa féminité, sa beauté aussi, mais surtout sa force de caractère, la façon si singulière qu'elles ont toutes d'êtres des êtres humains. Parce que c'est peut-être ça finalement le thème du cinéma d'Emmanuelle Bercot : les êtres humains. Et par moment c'est presque aussi vertigineux que les panoramiques filés qu'elles s'amusent à faire tourner autour de Malony. Mais indéniablement c'est aussi beau que les violons qui accompagnent souvent le personnage principal, aussi beau que les écorchés vifs, aussi beau que la vie.

Alors pourquoi le film est-il malgré tout si décevant? Le problème d'Emmanuelle Bercot (et de Marcia Romano, sa scénariste) c'est qu'elle(s) croi(en)t en la vie. Je crois aussi beaucoup en la vie. Mais je ne me paie pas le luxe d'être idéaliste. Je ne me permets pas d'être aveuglée par un optimisme qui ne serait pas de rigueur. Il y a un moment où le film nous perd, se met à tourner sur lui-même jusqu'à décoller et quitter la terre ferme pour s'enfoncer dans une réflexion simpliste. Malony, le voyou aux yeux bleus va être sauvé par la grande juge, incarnation presque sans faille de notre belle république. Comme si ce n'était pas assez, on appuie le propos en terminant le film par un plan sur un drapeau républicain flottant au-dessus d'un tribunal. On se croirait presque dans un film de propagande des années 40/50. Je me suis longtemps demandé si la fin était vraiment positive : le héros, qui n'a même pas 20 ans, est père d'un enfant, la mère n'ayant elle non plus même pas 20 ans. Ils n'ont pas de travail, ils n'ont pas fini leurs études et leur seul soutien est la mère de la mère, seule adulte responsable dans les parages. Alors non, ça ne finit pas vraiment bien parce que la rédemption sera lourde de conséquence. Malony n'est pas "sauvé" par la République, il est sauvé par la vie lui donnant l'occasion de dépenser son énergie sur un autre être. Soit, pourquoi pas. Je n'y crois pas mais pourquoi pas. Cependant, comment expliquer qu'un peu plus tôt, alors que le jeune homme a précipité son petit frère dans un terrible accident de voiture (la voiture s'est retournée sur elle-même à plusieurs reprises), n'étant pas attachés tous les deux, ils s'en sortent indemnes? Un miracle, je ne vois pas d'autre explication. Enfin n'oublions pas que Malony a été sauvé par un éducateur d'exception (Benoît Magimel), lui-même ex-délinquant sorti des ténèbres par la juge-sainte-Catherine-Deneuve. Un peu plus de guimauve et le scénario aurait été parfait pour un épisode de Famille d'accueil. C'est dommage parce qu'il y a des enjeux dans toute cette histoire, des pistes sur lesquelles le scénario nous entraîne en les laissant finalement sur le bord de la route. La question de la place de l'enfant dans le justice française par exemple : est-ce que le système est parfait? Oui, Malony a trouvé juge à son pied, mais non cette femme d'exception part à la retraite. Il est lui-même confronté avec d'autres jeunes aux suivis moins personnalisés : que conclure? Que les autres juges ne font pas leur travail? Que le système ne leur permet pas de le faire? C'est assez confus. Trop confus. A l'issue du film, la réalisatrice a annoncé son désir de devenir à son tour juge pour enfant. On se demande si ce désir de changer les choses n'a pas trop empiété sur la volonté d'être proche de la réalité. Est-ce que l'espoir n'a pas indirectement perverti le portrait de la société? Ce film qui avait tout d'un portrait social d'une jeunesse se termine finalement comme une sorte de mélo qui force les émotions. Et c'est décevant.

La qualité et la sensibilité de la réalisation m'empêchent de trop faire descendre la note c'est pourquoi je lui donne 3/5

   

mercredi 24 juin 2015

Vite fait, bien fait #2 Le monde de Nathan (X+Y)


Qui c'est quoi, comment, où?

Petit film britannique comme on les aime, produit par la BBC (donc forcément ça ne peut pas être complètement mauvais)
La réalisation est signée Morgan Matthews, réalisateur de documentaires pendant plus de 10 ans, quasi ignoré en France. 
On y retrouve le génial Asa Butterfield (Hugo Cabret, Le garçon au pyjama rayé...) qui a bien grandit et ça lui va comme un gant, ainsi que Sally Hawkins (Blue Jasmine, Never let me go...), Eddie Marsan (Une belle fin, Sherlock Holmes...) et Rafe Spall (Un jour, Anonymous, L'Odyssée de Pi...).
Sortie le 10 juin 2015. 


Le pitch

Nathan présente dès son plus jeune âge des troubles autistiques qui le replie sur lui-même. Obsessionnel et brillant, il parvient à surmonter sa différence grâce à un père exceptionnel qui comble son mal-être par l'amour. Jusqu'au jour où son père lui est arraché par un banal accident de voiture. Nathan va devoir surmonter ce traumatisme et se réfugie dans les mathématiques. Epaulé par un professeur marginal, le jeune homme va découvrir que sa virtuosité avec les chiffres pourrait lui assurer une place dans l'équipe britannique qui va concourir aux Olympiades Internationales de Mathématiques. C'est ainsi que sa mère, Julie, va le laisser partir pour un stage à Taïwan. Une occasion de se frotter à ses camarades et concurrents mais aussi d'effleurer du bout des doigts ce que c'est que la vie, un monde bien plus complexe et obscur pour Nathan que ne le sont les équations. 


Ce qui est bien 

- Le film évite toute forme de pathos ou de regard trop médical sur l'autisme. Il s'agit de rentrer dans le monde de Nathan grâce à des jeux de déformation, de lumières et de couleurs. On arrive finalement à voir par ses yeux un monde plein de motifs et de nuances.
- Asa Butterfield est particulièrement troublant dans ce rôle et parvient à faire ressortir le mal-être de son personnage. Accentué par une caméra qui se tient au plus près de l'acteur et qui filme souvent en gros plan, ou en biais, on saisit à plusieurs reprises dans des moments de grâce la beauté de cet anti-héros. Il y a d'ailleurs de très belles scènes où il se promène dans taïwan, agrémentées d'une BO excellente. 
- Enfin le film arrive à un constat humaniste sur la différence, le handicap et surtout l'amour, l'équation la plus complexe que Nathan va chercher à résoudre. Comme pour montrer qu'on est tous l'autiste de quelqu'un, le scénario fait cohabiter des personnages aussi différents que beaux qu'il serait dommage de désigner par des étiquettes : malade, handicapé, inadapté socialement, intelligent, surdoué. Le plus important c'est finalement qu'ils parviennent à rendre l'amour qu'on leur porte comme le dira Sally Hawkins dans une scène d'une grande poèsie.

Ce qui est décevant 

- Alors que le scénario part à contre-courant de ce qui est attendu, il évolue vers la facilité dans le dénouement jusqu'à un revirement de situation très attendu et inutile. 
- On regrettera également qu'il ne se focalise pas plus sur les personnages secondaires qu'on a envie de voir plus présents à l'écran. 


On va le voir si 

On aime les films britanniques colorés et sucrés plein de bons sentiments avec de beaux et attachants personnages (en plus c'est adapté d'une histoire vraie !). 

On passe son chemin si

On aime pas quand ça dégouline de guimauve et on préfère les thrillers aux films familiaux tendres. 

Je lui mets 3 Spocks sur 5.





mercredi 10 juin 2015

Vite fait, bien fait #1 YMMA

J'inaugure un nouveau format d'article sur ce blog, plus court que les précédents sur les films que je n'ai pas forcément envie de chroniquer longuement. Du coup ça s'appelle le Vite fait, bien fait et ça commence tout de suite avec le premier film de Rachid El Ouali : Ymma.


Qui c'est quoi, comment, où?
Production marocaine (avec quelques capitaux français si je ne m'abuse).
Un film de Rachid El Ouali.
Avec Rachid El Ouali (et la participation de Marc Samuel).
Sortie le 3 juin 2015

Le pitch
Boujemaa a 40 ans, il vit à Casablanca avec pour seule compagnie un hamster qui vit la nuit et dort le jour. Dans la vie, Boujemaa travaille dans la publicité, il n'a pas de femme et sa créativité est en train de s'étioler. C'est alors qu'il décide de se rendre dans la maison de son enfance pour assister au mariage (arrangé) de sa soeur. Sa mère vit recluse dans sa chambre et son père s'est remarié à une jeune fille. Boujemaa décide de claquer la porte à ce monde-là qu'il a réussit à fuir grâce à ses études. Ses pérégrinations le conduiront jusqu'en Corse à la recherche de son âme soeur.



Ce qui est décevant 
- Qui dit premier film, dit souvent maladresses et erreurs dans la réalisation, erreurs que l'on pardonne bien souvent car on est touché par la jeunesse du réalisateur. Le problème c'est qu'ici, Rachid El Ouali tombe dans presque tous les pièges du premier film et c'est un peu fatiguant.
- Côté scénario, on a l'impression de voir un film à sketchs, comme si chaque scène était reliée à une autre par un prétexte.
- Enfin ce qui aurait pu être un point fort du film, c'est la galerie de personnages qu'il met en scène et qui sont tous très attachants. Mais certaines rencontres sont superficielles, elles n'ont aucun intérêt dramatique et sont tournées de façon incohérente.

Ce qui est bien
- Le film est rattrapé de justesse par sa sincérité et la tendresse de son réalisateur.
- La réflexion menée sur la femme ou plutôt sur la mère est des plus intéressantes, (rappelons que Ymma signifie "Maman"). En choisissant des avatars tous différents de mère, le réalisateur signe une déclaration d'amour à la femme, sans ne jamais la blâmer.



On va le voir si 
- On aime les jolis films tendres plein de bons sentiments et d'où l'on sort le sourire aux lèvres.

On passe son chemin si
On est adepte des scénarios de type blockbuster ou des films d'auteurs à la Tarkovski parce qu'on risque franchement de s'ennuyer...

Le verdict

Je lui mets 2 Spock/5



vendredi 5 juin 2015

La loi du marché - Stéphane Brizé




Si vous avez lu mon mon post récapitulatif sur le festival de Cannes, vous devez déjà savoir que La loi du marché est l'un des films qui sort du lot parmi toutes les déceptions et les propositions ratées de la sélection officielle. L'autre raison qui me pousse à écrire un article plus détaillé, c'est que je n'arrête pas de lire de très mauvaises critiques d'internautes, déplorant un mauvais film que seule l’interprétation de Lindon sauverait. Je considère que tous ces jugements sont assez sévères, voire inappropriés par moments puisqu'ils refusent de prendre en compte la subtilité du filmage de Brizé, et la finesse de son propos. Ceci étant dit je ne prétends absolument pas avoir la science infuse mais quand on parle de cinéma, il faut parfois dépasser un peu le simple jugement subjectif pour chercher à voir les qualités et les défauts d'un film, formulés de façon moins contestable que le simple "c'est pas bien", "je n'aime pas".

La première raison pour laquelle le film de Brizé m'a surprise, c'est que la sélection officielle de cette année était plus dans la féerie, la magie, l'illusion que dans le social et il a fait son petit effet lors des premières projection. Ensuite, je voudrais souligner la qualité de la réalisation qui est esthétiquement très intéressante, mais j'y reviendrai plus tard. Pour ceux qui n'ont pas vu le film le pitch est plutôt simple : Thierry, la cinquantaine est sans-emploi. Après avoir navigué de stages en petits boulots, il finit par devenir vigile dans une grande surface; son travaille consistant à surveiller les clients mais aussi les caissières. Plus largement, c'est une chronique sur le désespoir des classes moyennes (voire très moyennes) françaises et la précarité qu'a engendré la crise. Le sujet ne paraît pas d'un premier abord particulièrement novateur (quoi que, il faut quand même oser baisser un peu le regard pour filmer ces gens simples), mais Brizé réussit à éviter le misérabilisme en filmant l'autre avec respect. Je me rappelle être tombée en DS sur une citation d'Alain Cavalier où il était question de "morale du regard", et de "filmer droit dans les yeux", et je trouve que l'expression est toute à fait appropriée ici. Thierry a dans le film un fils handicapé moteur qui est par ailleurs assez brillant intellectuellement. J'entends dire partout que c'est trop, c'est misérabiliste, c'est dégoulinant, c'est français. Je considère que cette critique est infondée dans la mesure où ce fils handicapé n'est jamais montré de telle sorte qu'on éprouve de la pitié pour lui. Il est au contraire un élément dramatique qui permet à l'histoire de tenir debout. Il renforce la détresse de Thierry dans la mesure où les études de son fils ont un coût, mais il est aussi l'une des raisons de son acharnement. Sans quoi, pourquoi ne pas choisir le suicide? Parce que Thierry a une famille qui aime et qu'il aime. Ceci étant précisé, je voudrais m'attarder sur la réalisation que je trouve magistrale a différents niveaux. Brizé filme en plan serré, souvent caméra à l'épaule avec beaucoup d'instabilité, de précipitation. Le spectateur est au plus près du personnage, parfois si proche qu'il peut en distinguer les grains de la peau. A cela s'ajoutent des ellipses et un montage sec et froid, comme si les événements n'avaient aucune suite logique (on retrouve Thierry vigile alors qu'on l'a quitté à Pôle-Emploi), sans parler des scènes brutes des caméras de surveillance qui donnent l'impression de pions sur un échiquier. Certains plans s’éternisent, on voit des scènes de repas à répétition comme pour surligner cet effet de descente en spirale (d'ailleurs j'ai remarqué que les repas évoluaient : on passe du poulet à la salade de maïs, ce qui ne me semble pas anodin). C'est une véritable spirale infernale qui nous est imposée du début à la fin. Et c'est très étouffant, oppressant, difficile à supporter parce que ces gens sont des monsieur et madame tout le monde, qui ne vivent ni ne font rien d'exceptionnels. Et c'est justement parce qu'au bout d'un moment on finit par manquer d'air, et qu'on attend avec impatience la fin que c'est très réussi. Je ne peux pas bien sûr ne pas parler de l'interprétation de Vincent Lindon, extraordinaire comme toujours dans son jeu toute en retenue et en micro-expressions. Mais je pense que s'il est si bon, c'est en partie grâce au filmage de Brizé. Le personnage mène le film, impulse les mouvements de caméra, les variations de rythme, ce qui fait que c'est encore plus éprouvant puisque nous sommes Thierry. Je reconnais que je n'ai respiré que lors de la dernière scène, qui est très amère quand on y pense, mais également très réussie. Finalement le film montre (au sens de regarder) avec ce filmage en apparence documentaire (mais très étudié) presque factuellement ce que le cinéma ne cherche pas vraiment à regarder d'habitude. Une seule question demeure : si l'homme enchaîne l'homme et si l'argent impose son régime totalitaire, est-il possible que ce soit autrement que comme ça, la vie?

Si je devais néanmoins faire une critique sur ce film et sur sa présence à Cannes cette année; je demanderais quand même s'il peut vraiment être compris au-delà du monde occidental, voire des frontières françaises (le jury nous a montré que oui). Néanmoins, permettez-moi d'être sceptique quant à l'intérêt qu'un Taïwanais, qu'un Cubain, qu'un Nigérien pourrait y trouver. 


jeudi 4 juin 2015


Je suis très heureuse de vous annoncer que je suis sous-admissible au concours de l'ENS Lyon (série Lettres et arts) et que ces deux ans de prépa n'auraient pas pu mieux se terminer !

Bisous à tous les autres khâgneux de France, courage aux admissibles, et à bientôt pour de nouvelles aventures !




jeudi 21 mai 2015

Festival de Cannes 2015



Voilà Cannes qui suit son cours et équipée de mon joli badge, j'ai la chance de pouvoir arpenter les salles obscures. Un petit article pour récapituler ce que je vois. Je ferais peut-être des critiques plus développées sur certains films si le coeur m'en dit.

Classement, critiques et palmarès en fin de festival...

Sélection officielle 


Tale of tales - Matteo Garrone



Surprise cannoise pour ce long-métrage en compétition officielle. Un film de genre comme on les aime ou comme on les déteste. Du noir, du merveilleux, du faste, du magique;  un film qui ne passera sans doute pas inaperçu lors de sa sortie en salle. Dans l'ensemble les critiques me paraissent bien sévères pour ce film plutôt bien mené malgré des longueurs.

Umimachi Diary (Notre petite soeur) - Hirokazu Kore-Eda



Kore-Eda poursuit sa réflexion sur la famille japonaise (dans l'héritage de Yasujiro Ozu) en la démantelant toujours un peu plus. Après Tel père, tel fils (prix du jury Cannes 2013) qui posait des questions sur la paternité et la filiation, il revient ici sur une cellule familiale toujours plus en crise, puisque même les parents n'existent plus. Un film d'une tendresse inouïe, dont le propos s'étend à une réflexion sur la ville, la campagne; le Japon d'aujourd'hui , la vie, la mort, servi par des actrices aussi belles que talentueuses. Saluons également la finesse de l'écriture, avec une symétrie presque parfaite dans son scénario. Un film qui donne envie de vivre, d'aimer et d'être heureux.

Mia Madre - Nanni Moretti




Autre coup de coeur que le nouveau Moretti. Des rires, des larmes, mais surtout une mise en scène qui s'approche de la perfection. Nanni Moretti signe un film maîtrisé, bien que classique, qui fera tout de même tirer une petite larme, même aux moins sensibles d'entre nous. Décidément, je ne me lasse pas des films qui parle du cinéma. Un de mes favoris.

Carol - Todd Haynes



Belle performance d'actrice pour Rooney Mara, mais surtout Cate Blanchett dont on murmurait en sortant de la projection qu'elle avait toutes ses chances pour le prix d'interprétation féminine. Tantôt masculine, tantôt plus féminine, elle incarne un personnage brisé, dont la détresse est perceptible à l'écran. La photographie est magistrale, la mise en scène est maîtrisée et le scénario tient la route. On pourra cependant reprocher à Todd Haynes de signer un film en somme assez plat qui se traîne un peu et peine à avancer à certains moments.

La loi du marché - Stéphane Brizé



Un film social à Cannes qui n'a pas manqué de surprendre à côté de la féerie de certains films de la compétition. Sans ne jamais abaisser la caméra pour dresser un portrait misérabiliste de la France du 21e siècle, Stéphane Brizé réalise un film fort et audacieux sur ces gens qu'on ne montre pas si souvent au cinéma. Si le film est oppressant et parfois long, saluons la prestation de Vincent Lindon (longtemps ovationné à juste titre) dont le jeu, tout en retenue en fait un favori pour le prix d'interprétation masculine.

Marguerite et Julien - Valérie Donzelli



Me voilà obligée d'avouer mon faible pour Valérie Donzelli. Si le film a fait un flop parmi le public cannois, je ne peux pas m'empêcher de le réhabiliter un peu pour toute la tendresse que sa jeune réalisatrice lui a insufflée. De beaux personnages, de beaux acteurs, une belle BO, le tout formant un conte de fée pop, parfois guimauve et terriblement attachant. Alors oui, des longueurs, oui une immoralité (assumée !) et oui une multiplication des références, mais qu'importe. Marguerite et Julien est un jeu auquel nous invite Valérie Donzelli. Ne cherchons pas plus loin. Profitons du spectacle. 

Dheepan - Jacques Audiard



Dheepan bénéficie de nombreux atouts qui, réunis, auraient tout pour en faire un chef-d'oeuvre. Le scénario est bien ficelé (Thomas Bidegain et Noé Debré aux commandes), l'argument est intéressant, l'esthétique qui joue sur des jeux de lumière est magnifique (à part les plans surexposés que je trouve clairement laids) et la mise en scène et la direction d'acteur est au rendez-vous. Oui mais voilà, le film n'échappe pas à certaines maladroites, dont la fin qui dessert clairement le film de mon point, et un enlisement dans un propos qui frôle la stérilité. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'Audiard a eu le coup de génie avec Un prophète, mais qu'il peine à le retrouver.  

Chronic - Michel Franco


Film mineur de cette sélection (dont je n'arrive pas à expliquer le prix du scénario), Chronic peint avec sécheresse le quotidien d'un infirmier auprès de patients en fin de vie. Si Tim Roth tire son épingle du jeu dans ce rôle aussi dur que froid, le film qui part pourtant de bonnes idées, ne parvient pas à me convaincre. Originalité du scénario? Je ne sais pas bien. Il faut reconnaître que le traitement du sujet, très pesant, étouffant, épuisant est intéressant mais le film se clôt sur un échec, celui d'une fin aussi facile que tirée par les cheveux. En définitive, de nombreuses maladresses et une séance difficile à supporter.

Macbeth - Justin Kurzel


Que fait Macbeth en sélection officielle? Je ne m'explique pas la raison de la présence de ce film à grand spectacle, tourné façon film d'auteur. Sans mentir j'ai passé un très bon moment, d'autant plus que le film est servi par deux acteurs au sommet (Michael Fassbender et Marion Cotillard, que je trouve, pour une fois, à la hauteur de son rôle, pour ne pas dire parfaite). Filmage beau, bonnes idées de mise en scène; mais une insistance parfois insupportable sur des effets de style (ralenti, saturation de l'image) qui rendent le tout plutôt moyen dans le cadre de la sélection officielle. Enfin, il faut aussi dire que cette adaptation n'apporte rien de nouveau à ce classique shakespearien déjà porté à l'écran par des réalisateurs de génie. Un peu fade donc, quoique réjouissant.

Le fils de Saul - László Nemes


Voilà la vraie bonne surprise de la sélection officielle ! Audacieux, brillant, déroutant; le jeune László Nemes réussit à porter un regard nouveau sur la Shoah (sujet déjà très souvent porté à l'écran) tout en faisant le choix d'une forme cinématographique novatrice. Tourné en caméra à l'épaule et en plans souvent très rapprochés sur le personnage principal (le fameux Saul incarné tout en subtilité par Géza Röhrig), Le fils de Saul s'intéresse à ces juifs prisonniers réduis en esclavage par les nazis afin d'aider à l'application de leur folie extermination. Un film important pour l'histoire des hommes et du cinéma.

Youth - Paolo Sorrentino


Je suis toujours quelque peu déroutée par les films de Paolo Sorrentino. Si j'en reconnaît l'extrême beauté, je dois avouée qu'ils ont tendance à m'ennuyer. Si la première demi-heure de Youth est extraordinaire, le film se délite peu à peu jusqu'à devenir de moins en moins intéressant. Malgré le duo d'acteurs qui porte le film (Michael Caine et Harvey Keitel), le film s'enlise dans un propos redondant. Enfin, cette esthétique de l'ostentation et de l'exagération (déjà présente dans La Grande Bellezza) qui tombe souvent dans le too much, me laisse de marbre.

Louder than bombs - Joachim Trier


Réalisation réussie, mais sans génie de Joachim Trier pour Plus fort que les bombes qui se focalise sur le deuil d'une famille après la disparition de la mère, grande reporter de guerre. Touchant, drôle, émouvant, le film suit un parcours sinueux dont on se demande parfois où il va en venir. Il n'en est pas moins intéressant dans son traitement et sa mise en scène (de très belles scènes de rêves et une réflexion sur le manque et la mort tout aussi pertinente). J'ai un petit faible pour Jesse Eisenberg, toujours très délicat et attachant dont la finesse dans ce rôle confirme qu'il est un acteur à suivre. 

Un certain regard 


Nahid - Ida Panahandeh


Un premier film tout en douceur et en subtilité pour cette jeune réalisatrice iranienne. Un cinéma de femme, sur une femme, Nahid dresse un portrait nuancé de la condition féminine en Iran. Le film se distingue par une maîtrise de la mise en scène et du scénario à qui on peut tout de même reprocher le manque de virtuosité, et une orientation plutôt facile dans le dernier quart d'heure du film. La jeune femme mérite bien son "prix de l'avenir" dans la sélection cannoise Un certain regard puisque ses premiers pas dans le cinéma sont des plus encourageants. Affaire à suivre...

Je suis un soldat - Laurent Larivière


Premier film sans génie pour Laurent Larivière porté par une Louise Bourgoin au sommet dans ce drame français présenté dans la sélection cannoise Un certain regard. Une belle photographie, une bonne direction d'acteur mais un scénario parfois un peu faible qui a tendance à tomber dans la facilité (voir le romantisme guimauve à certains moments). Saluons aussi la prestation de Jean-Hughes Anglade, très inquiétant dans ce film qui manque tout de même un peu de saveur.

Hors-compétition :


La tête haute - Emmanuelle Bercot (Ouverture)



Ambitieux de réaliser à nouveau un film sur la jeunesse à problème après le Mommy de Xavier Dolan qui a tant troublé Cannes un an auparavant. Pourtant Emmanuelle Bercot tire de ce paris un film d'une indéniable finesse, à la réalisation ingénieuse et délicate, notamment grâce à une utilisation subtile de la musique. On peut tout de même regretter des longueurs ainsi que des faiblesses scénaristiques vers la fin où l'élément de résolution est tout de même trop attendu. Quand au dernier plan, il ne fait pas l'unanimité...

L'Homme irrationnel - Woody Allen


C'est à croire que Woody Allen ne se remet pas du coup de génie qu'il a eu avec Blue Jasmine (qui lui a permit l'oscarisation de la formidable Cate Blanchett). Après le mineur quoique divertissant Magic in the moonlight, Emma Stone se retrouve de nouveau derrière la caméra du plus francophile des cinéastes américains pour incarner cette jeune étudiante qui noue une relation avec son professeur de philosophie, l'incontournable Joaquin Phoenix. La réflexion banale sur le kantisme et les philosophies de la morale ne parvient pas à relever le niveau de ce film qui ne dépasse pas le bon divertissement. Plutôt décevant dans son ensemble.

Une histoire de fou - Robert Guédiguian



Robert Guédiguian arpente de nouveau les sentiers de la mémoire arménienne dans ce film tourné à l'occasion de la commémoration du génocide. Si le cinéaste a parfois tendance à se perdre dans les travers de la reconstitution historique et dans des situations parfois un peu floue, il a le mérite de livrer au spectateur une réflexion sur le génocide et la détresse d'un peuple conduit jusqu'à la folie. Car qui est Robert Guédiguian si ce n'est un philosophe dont les questionnements dépassent bien souvent le cinéma lui-même? Un film à voir pour se souvenir et pour dire au monde que l'histoire ne s'écrit pas toujours du point de vue des vainqueurs. 

The Little Prince - Mark Osborne


Quelle déception que cette pseudo-adaptation du livre pour enfant le plus traduit au monde ! En extrapolant une histoire autour du chef-d'oeuvre de Saint-Exupéry, Mark Osborne tombe dans le piège d'en oublier le livre original pour partir dans un délire personnel. C'est d'ailleurs vraiment dommage parce que les scènes où l'on voit le petit prince sont magnifiques (avec un style papier mâché vraiment mignon), mais le film ne suit pas, se perd dans des méandres qui en viennent à trahir l'oeuvre. La scène culte du renard est tronquée, de nombreux passages du livre sont supprimés et la fin est carrément une réécriture à la sauce américaine. Décidément, Hollywood devrait cesser de chercher à s'approprier les mythes.

Semaine de la critique 


Les Anarchistes - Elie Wajeman (Ouverture, hors-compétition)


Une reconstitution tout en sobriété et révolte pour ouvrir la Semaine de la critique. Le film est porté par de très belles performances d'acteurs (l'ingénu Tahar Rahim, la rebelle Adèle Exarchopoulos et le doux-amer Swann Arlaud) qui incarnent avec subtilité ces fortes têtes du début du XXe siècle. Une jeunesse qui se révolte, s'aime et se déchire, une jeunesse de tous les temps, une jeunesse de tous les lieux; c'est le pari relevé par Elie Wajeman dans ce film d'une grande finesse. On pourra toutefois lui reprocher son intrigue parfois trop simple et sa résolution un peu rapide. Mais finalement qu'importe tant que vive le cinéma, et vive l'anarchie ! 

Ni le ciel, ni la terre - Clément Cogitore


Vrai coup de coeur pour ce premier film présenté à la semaine de la critique, dont le scénario très ambitieux remplit toutes ses promesses. Le film bénéficie également de la présence d'acteurs exceptionnels dont l'excellent Jérémie Rénier et le très attachant Swann Arlaud. Réflexion métaphysique sur la foi, Dieu et les hommes, il prend pour cadre la présence française en Afghanistan. Mais qu'on ne s'y perde pas, Ni le ciel, ni la terre n'est pas un film sur la guerre. Il place des individus dans une tension grandissante et observe leurs réactions, leurs peurs, leurs joies, leurs haines, leurs amours. Et c'est très beau.

Les deux amis - Louis Garrel (hors-compétition)


Louis Garrel propose avec Les deux amis, le film le plus bobo de tout le festival de Cannes. Dans cette (très) libre adaptation sans fantaisie de La Vie de Marianne où des personnages sans saveur se côtoient dans le Paris bourgeois du XXIe siècle, le fils de la tribu Garrel use d'influences diverses et variées pour réaliser son premier long-métrage. Des influences un peu trop présentes justement puisque certaines plans sont carrément des citations de films de Christophe Honnoré dans lesquels Louis Garrel a joué, et c'est un peu lourd au bout d'un moment. Perdue dans une salle hilare à chaque pseudo-mot d'esprit, j'ai souris quelques fois tout en restant de marbre la plupart du temps. Rappelons pour terminer que Louis Garrel avait annoncé vouloir faire "Un Claude Sautet des pauvres, façons série B". Il faut croire qu'il ne côtoie pas beaucoup les pauvres en question pour les peindre de cette façon. Décidément Louis, on attendait un peu mieux de toi que ce film qui se touche le nombril pendant deux heures. 

Quinzaine des réalisateurs 


Les cowboys - Thomas Bidegain


Premier film de Thomas Bidegain, co-scénariste de Jacques Audiard récemment palmé, Les cowboys dresse le portrait tout en nuances d'une famille déchirée par la fugue de leur fille aînée. Si la réalisation est parfois maladroite et le rythme pas toujours bien maîtrisé, reconnaissons que Thomas Bidegain part d'une idée originale, tout en jouant sur les effets de surprise d'un scénario ambitieux qui ne manque pas d'étonner le spectateur à plusieurs moments. Si le film n'a en apparence rien d'un western, il appartient plutôt à une forme presque hybride de cinéma où s'entremêlent différentes influences et tonalités pour créer un tout esthétiquement très beau et très bien pensé. Je ne m'avancerai pas jusqu'à dire qu'il invente une nouvelle forme, mais il en est quand même pas très loin. Le film se traîne un peu sur la fin et peine à exploiter certains personnages. En revanche, mention spéciale pour François Damiens qui prouve une fois de plus que les rôles dramatiques lui vont comme un gant et pour Finnegan Oldfield, qui en plus d'avoir un nom absolument génial, se révèle être un jeune homme tout à fait prometteur dont il faudra suivre la carrière cinématographique.


Trois souvenirs de ma jeunesse - Arnaud Despleschins



Mes premiers pas dans l'univers de Paul Dédalus ! Belle découverte pour ce réalisateur, dont je l'avoue un peu avec honte) je n'avais vu aucun film jusque là, comme quoi Cannes mène à tout. Donc c'est une très bonne surprise que ce film délicat et tendre où Despleschins décrit la jeunesse de son héros sous la forme de trois histoires indépendantes, selon trois genres et trois esthétiques bien différentes. Le film est porté par deux jeunes acteurs talentueux et très attachants (dont c'est le premier rôle au cinéma, il faut le préciser) et qui crèvent l'écran. Du charme, de la poésie, de la tendresse qui donnent très envie de retrouver Paul Dédalus dans d'autres films !  

Cannes classics 


La dame de Shangaï - Orson Welles (1946)



Très belle version restaurée de ce film mythique présent dans le cadre du cycle Orson Welles organisé par Cannes Classics. Que dire si ce n'est que Welles est un génie de la mise en scène ! 

Conte des chrysanthèmes tardifs - Kenji Mizoguchi (1939)



Film très rare de Mizoguchi numérisé en 2015 (numérisation et restauration pas exceptionnelles d'ailleurs), Conte des chrysanthèmes tardifs est une merveille de mise en scène. La composition des plans est extraordinaire (chaque plan atteint une véritable perfection). Si les spectateurs occidentaux pourront lui reprocher d'éventuelles longueurs, le film réussit à éviter le mélodrame tire-larmes pour devenir un drame purement mizoguchien qui n'est pas sans rappeler les chef-d'oeuvres des années 50.

Visita - Manoel de Oliveira (1982)



Film que je ne commenterai pas et que je ne critiquerai pas en raison de son caractère trop personnel. Testament posthume qui ne devait être présenté au grand public qu'après sa mort, Visita met en scène la visite d'un couple dans la maison de leurs amis absents; ces séquences étant entrecoupées par des scènes avec Manoel de Oliveira lui-même philosophant sur son existence. N'ayant jusqu'à présent vu aucun de ses films, je ne suis pas en mesure de parler de celui-ci, ni-même de l'apprécier.



vendredi 1 mai 2015

Everything will be fine, portrait d'un ratage

Présenté à la Berlinale (comme Taxi Téhéran), le film de Wim Wenders parti bredouille, à à première vue de nombreux atouts pour être un grand film : acteurs vedettes, décors sauvages (le film à été tourné à Montréal), grand réalisateur... Pourtant le nouveau Wenders ne restera pas dans les mémoires.



Réminiscence de Que la bête meure ou non, le film démarre sur une idée moyennement intéressante : un écrivain en manque d'inspiration qui s'est exilé dans un cabane au beau milieu de la neige, croit écraser un enfant dévalant sur la route en luge. Craignant le pire, il sort de la voiture, et surprise, l'enfant est planté là, l'air secoué mais bien en vie. Soulagé il l'attrape par la main et le ramène chez lui. Là, coup de théâtre que je ne vous révélerai pas mais c'est bien le seul rebondissement du film puisque le drame qu'il croit avoir évité a bien eu lieu. L'heure et demi qui va suivre sera une succession de scènes où on suivra James Franco dans sa culpabilité, ses difficultés à écrire, ses amours et la relation troublante qu'il garde avec l’événement de ce soir-là. 



Every thing will be fine est un film chiant. Le genre ennuyeux où on regarde sa montre toutes les dix minutes en se demandant quand ça va finir parce que c'est vraiment long. Sans vouloir faire de comparaisons qui n'auraient pas lieu d'être, il faut rappeler que Wim Wenders s'est imposé avec ses films précédents comme un génie de la mise en scène. Par un concours de circonstances j'ai vu Paris, Texas presque deux fois d'affilée et je dois reconnaître que le film, qui dure pourtant plus de deux heures, m'a semblé passer en dix minutes. Et là, je ne comprends pas ce qui s'est passé, j'ai cru à plusieurs reprises que j'allais sortir tellement ça s'étirait. Je ne peux pas dire que Wenders est un cinéaste vieillissant puisqu'il excelle dans la réalisation de documentaires (je pense que Pina figure à juste titre dans la liste de ce qui se fait de mieux ces temps-ci, tout comme Le Sel de la Terre que j'ai eu la chance de voir à Cannes et qui est vraiment très intéressant). Mais le retour à la fiction est complètement raté. D'abord faire jouer de bons acteurs ne suffit pas. James Franco est beau, tout le monde le sait. Mais le montrer en gros plan, plongée, contre-plongée, de dos, immobile, les yeux clos, pensif etc. ne suffit pas à faire de lui un personnage suffisamment construit. Le film présente des faiblesses scénaristiques évidentes notamment en matière de dramatisation puisque de nombreuses séquences semblent totalement insignifiantes. Les pistes sont lancées. C'est tout. Portrait psychologique? Histoire d'amour? Thriller? Je me suis à plusieurs reprises demandé à quoi voulait en venir Wenders; tant est si bien que j'ai cru à un moment donné que le film n'était rien d'autre qu'une histoire de vengeance particulièrement bien ficelée. Mais non. Déception totale, le cinéaste revient par une pirouette-cacahuète à ce thème qui lui est cher, la paternité. Si j'arrive à y croire dans Don't come knocking parce que le film repose sur autre chose que la quête du père, je suis désolée mais ici c'est complètement tiré par les cheveux. Un vague air de "tout ça pour ça?" plane sur le dénouement et j'ai franchement attendu le moment où la logique interne allait se dévoiler. En vain. L'omniprésence d'intertitre "trois ans plus tard" est étouffante, puisque les années passent mais rien n'évolue (et puis les intertitres, faut y aller doucement, c'était très à la mode dans les années 80 mais là faut avoir la main légère). Quant au filmage, puisque c'est aussi ce qui faisait de Wenders un génie de la mise en scène, c'est tout de même assez décevant. Je n'ai pas vu le film en 3D, mais étant donné qu'il a été tourné en 3D on en saisit quand même certains effets, du genre le plan d'ouverture sur le halo de lumière ou encore ce plan d'ensemble sur un arbre dans le dénouement avec profondeur de champ et tout le tintouin. Des virtuosités en somme bien inutiles, d'autant plus que le film a une atmosphère assez froide ce qui distancie encore plus le spectateur de ces personnages bancals. Même le mélo nous est refusé, c'est dire. Sans oublier les scènes d'auto-citation où Wenders fait du Paris, Texas justement (par exemple la scène où Charlotte Gainsbourg téléphone à Franco). Le problème c'est que ça en devient lourd parce que ça n'a plus rien de nouveau. 



C'est donc une déception et cela en dépit du fait qu'il s'agit du film d'un cinéaste génial, comme il nous l'a prouvé par le passé. Every thing will be fine est décevant à tous les niveaux. Le film de trop? Un coup manqué? La suite nous le dira puisque Wenders a le projet d'une nouvelle fiction avec le merveilleux Reda Kateb que j'aime tant. Dois-je avoir peur?